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UN AIR DE DEJA VU
4 mars 2014

CHAPITRE 2 : DEJA LIBRE

Le vent d'Autan souffle fort ce soir. Il s'engouffre jusque dans ce couloir de la maison d'arrêt de Seysses. Je marche tel un bagnard, que dis-je... je suis un prisonnier. Détention provisoire après un long interrogatoire où la vérité étrange a été dite. Je me retrouve en habits sombres, le métal résonne, et la grosse porte ne tardera pas à se refermer derrière moi. Bon anniversaire. Même dans Prison Break l'ambiance semblait moins angoissante. Et puis l'arrivée de nuit renforce l'étrangeté de la situation. Le gardien me prévient que le détenu qui partage ma cellule s'appelle Henri. Il est plus âgé que moi. La cinquantaine, des cheveux grisonnants, une jolie barbe et un regard bleu très vitreux. Je me rappelle brièvement d'un voyage scolaire à Vaison-la-Romaine où nous dormions dans un dortoir sur des lits superposés. Le premier arrivé choisissait sa place. Là, pas de choix, je m'installe sur le lit du dessous. Je m'attendais à davantage de saleté, mais malgré l'aspect rudimentaire du lieu, il semble propre. Henri me regarde avec un sourire aux lèvres.

"T'es là pour quoi toi ?, me lance-t-il ?

- Euh disons que je me suis trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. 

- T'as tué un gars, braqué une banque ?

Je ris. Moi qui n’osais même pas recopier sur le voisin à l'école, moi qui étais incapable de prendre 2 bonbons offerts à l'accueil de l'opticien, moi qui encore n’osais pas dire que j'avais 24 ans au surlendemain de mon 25ème anniversaire quand j'aurais pu avoir droit à une réduction en boîte pour les moins de 25 ans. Moi j'aurais braqué une banque ou tué quelqu'un ? Sûrement pas. J'explique alors à Henri les soupçons qui pèsent sur moi. Comment un attentat qui a tué deux pompiers dans le métro a pu être stoppé par une alerte incendie ? Serait-ce l'œuvre d'un terroriste pris de remords ? Ma seule justification était cet air de déjà vu. Et pour convaincre le magistrat, je lui ai fait comprendre que j'avais déjà vu une scène avec lui et qu'elle était consignée dans un petit carnet que je tiens à côté de mon lit pour noter tous mes rêves bizarres et autres pensées éveillé. Henri descends de son lit et s'assied alors à côté de moi. Je le sens très attentif à mes histoires. Pourtant nous ne nous connaissons pas et j'avoue que sa présence ici m'inquiète et m'intrigue. Je me perds à croire que j'évolue dans une colonie de vacances ou autre camp de scout, mais non. Je suis bien enfermé derrière des barreaux pour un crime que je n'ai pas commis. 

- T'inquiète p'tit gars, si t'as rien fait tout cela n'est que temporaire. Ils n'ont aucune preuve contre toi. Tu as juste commis un acte héroïque qui a sauvé bon nombre de personnes. Ca t'arrive souvent tes flashs ?

- Je ne sais pas si on peut parler de flashs. Je ne suis pas madame Irma. Disons que je n'en parle à personne d'habitude. J'avais décidé d'en faire une rubrique radio car ça devient quotidien et j'arrive à anticiper ce qui fera nécessairement l'actualité. Le plus souvent, ça concerne mes amis. Je me suis renseigné sur la paramnésie.

- La quoi ?

- C'est l'étrange sensation d'avoir déjà été témoin ou d'avoir déjà vécu une situation. 7 personnes sur 10 ont déjà vécu cette expérience. Avec l'hypnose certains disent que c'est une confusion avec un souvenir. Il y a ceux qui pensent que c'est le cerveau qui s'arrête de fonctionner une fraction de seconde, ou que c'est parfois l'interaction entre des médicaments qui provoquerait tout ça. Sauf qu'aucun d'entre eux n'ont mon petit cahier. J'écris mes sensations. Je ne comprends pas tout de suite à quoi ces sentiments correspondent, mais plus tard je sais que je ferai les recoupements. Je n'avais pas vu l'explosion du métro, mais je savais que tous mes amis ne devaient absolument pas le prendre. 

Et puis une certaine angoisse m'envahit soudainement. Pour le coup je comprends immédiatement ce qu'il se trame. J'ose l'humour.

-... Là par exemple Henri, je sais que tu vas mettre ta main sur ma cuisse et que tu vas tenter une approche hasardeuse. Ta situation en prison et ton manque de sexe peut certainement justifier cette attirance soudaine pour un beau jeune homme comme moi, mais je me dois de décliner l'invitation avant même qu'elle devienne concrète car tu serais alors juger pour agression sexuelle en milieu carcéral sur codétenu et cela prolongerait nécessairement ta peine, ou enlèverait toute possibilité de remise de peine. Voilà voilà.

Outré, quelque peu agressif, Henri se lève et pose sa main sur le lit du haut me laissant entrevoir le volume incroyable de poils qui constitue son aisselle. En macho dominateur il me demande sous la menace d'un poing si je le prends pour un homosexuel.

- Tu ne me feras pas croire à moi que tu n'y as pas pensé. Calme-toi, tu peux t'asseoir à nouveau. T'es en prison pour quoi toi monsieur le costaud ?

- Je suis complice d'un braquage de Casino. Pas les machines à sous. Le p'tit Casino, la supérette quoi. C'est moi qui conduisais la voiture. Et je suis pas PD. Mais t'as pas complètement tort."

Dans ce quartier de la prison, les télévisions sont autorisées. Henri rallume la nôtre en mettant le volume au minimum. Passée une certaine heure, elles doivent être coupées. Sur les écrans défilent les images du centre ville de Toulouse éventré par la puissance de l'explosion. Premières conséquences immédiates. Visiblement le trafic, déjà compliqué d'ordinaire, devient problématique. Les toulousains quittent la ville en voiture de peur d'une nouvelle explosion. Les images montrent une rocade complètement saturée. Le plan rouge est déclenché comme au temps des tueries de 2012, et la psychose d'AZF ressurgit comme en 2001. Là, pas de place pour le doute, pas d'accident possible. Un engin explosif a bien été placé sous un escalier. J'aperçois alors le juge des libertés et de la détention qui s'exprime au micro d'une chaîne toulousaine. Interrogé sur la probable mise en examen d'un jeune homme, il dit ne pas vouloir répondre. Et derrière lui, au même moment, un accident se produit. Accrochage entre 2 voitures sous les caméras de la télé de Toulouse.

Un gardien entre et éteint la télévision, me rappelant quelques règles au sein de la prison. Sans broncher, je me couche. Henri fait de même. Je lui dis "bonne nuit". Il ne me répond pas. Les codes de la politesse n'ont pas l'air d'être identique dans cet endroit. Je pense alors à mes parents. J'aimerais tellement leur dire que je les aime. Je pense à mes amis. Lesquels d'ailleurs. Personne n'a cherché à me joindre. Je me sens seul ce soir, sans gâteau, sans bougie, sans même la liberté. Les heures passent. Je ne trouve pas le sommeil. Je réfléchis au fait que toute ma vie, je me suis tourné vers les autres, sans jamais obtenir un remerciement en retour. Mon dernier acte de bravoure m'a mené dans ce trou à rat. Pourquoi n'ai-je jamais dit que j'avais ce don ? Pourquoi n'en avoir jamais profité ? Comme un déclic je m'insulte. Ca suffit.

Le jour se lève. Je n'ai quasiment pas dormi. Les portes s'ouvrent et chaque détenu bien discipliné rejoint le réfectoire pour manger le petit déjeuner. Je suis Henri un peu comme un père. Tout le monde traine des pieds. Le sol, fraîchement nettoyé, glisse. Je découvre le visage de tous ces malfaiteurs. A leur tour ils me dévisagent. J'ai l'impression de vivre une mauvaise expérience dans une téléréalité trash. Pas le temps d'aller dans la cantine, un gardien m'appelle par mon nom, haut et fort. J'ai une visite. Après un long dédale, j'entre dans cette pièce où l'on réunit mes affaires dans un sac et où je me retrouve nez-à-nez avec le juge. 

- Jeune homme, nous avons récupéré votre calepin. En effet à l'intérieur vous parliez déjà de moi. Dans la description de la scène, vous mentionnez non seulement la présence d'une télé toulousaine, mais également d'un accident lors de l'interview. Et c'est exactement ainsi que l'entretien s'est déroulé. Hier soir j'ai fait interroger les protagonistes de cet accident pour m'assurer qu'il ne s'agissait pas d'un coup monté. Et compte-tenu du résultat de cet interrogatoire je ne peux que constater les faits. Vous m'aviez annoncé par écrit quelque chose qui a bien eu lieu. Or si ce que vous dites est vrai, il se peut que vous ayez fait preuve de beaucoup de courage hier en évacuant tous ces usagers des transports. Pour éviter une erreur et parce que je suis bluffé, j'ai accéléré la procédure, vous êtes libre. Néanmoins votre petit cahier reste dans les mains de la police. Certaines histoires à l'intérieur nous laissent perplexes. Accepteriez-vous de nous aider en vous remémorant quelques éventuels indices ? La méthode peut paraître atypique, mais le contexte l'est.

J'accepte la proposition. On me laisse alors la possibilité de me changer et je sors de la prison avec l'intime conviction que je vais y retourner.

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